À Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Depuis cinq ans, et pour encore au moins un an et demi, la plus visitée des églises du Vieux-Montréal subit une opération de maçonnerie à 50 millions $ pour lui redonner son visage des années... 1840.
Combien de bâtiments sont faits pour durer presque deux siècles, malgré les vents violents et les innombrables gels et dégels?
Sur la basilique Notre-Dame, il y a déjà eu des travaux de rénovation plus superficiels au siècle dernier, mais là, il faut carrément remplacer des centaines de pierres de façade qui ont fait leur temps.
«Regarde, ça s’effrite sous la main!» s’exclame Hugo Latrémouille, estimateur pour maçonnerie de Rainville et Frères, en touchant des pierres que le supplice des intempéries québécoises a fini par faire craquer.
M. Latrémouille grimpe avec moi l’interminable escalier en colimaçon vers le clocher qui atteint 70 mètres.
«Plus on monte, plus les dégâts deviennent évidents: les pierres plus basses sont souvent encore en bon état, mais celles du sommet sont fendues», explique-t-il.
Après le gigantesque carillon de 10 cloches, nous sortons et accédons à l’échafaudage métallique extérieur.
Avec ses échelles à la Donkey Kong, celui-ci recouvre le clocher jusqu’à son sommet.
«Le chantier est encore plus haut, mais on a déjà une belle vue d’ici!» fait remarquer M. Latrémouille.
Près du Grand Quai, j’aperçois un de ces monstres des mers qui lâchent dans le Vieux-Montréal une horde de touristes, dont plusieurs visiteront la basilique.
À chaque nouveau palier de l’échafaudage, la pierre semble plus usée.
Près du sommet, la couche pierreuse a été retirée.
On voit donc, exposé, l’espèce de fourre-tout de pierres, cailloux et mortier épais de près d’un mètre qui sert de super-squelette au monument.
«Ça, c’est encore solide: ça reste», m’apprend M. Latrémouille.
Casse-tête à mille tonnes
Les pierres retirées sont numérotées.
De nouvelles pierres seront taillées à leur image.
Il faudra assembler ces dernières comme un casse-tête à mille tonnes.
Les plans sont réalisés par la firme DFS Architecture qui a elle-même 120 ans d’existence.
Ce chantier a peu à voir avec la construction moderne.
Les compétences requises pour ce travail «cathédralesque» ne font plus partie du bagage du maçon du 21e siècle.
«J’ai appris le métier de mon père et avec mon père», confie Marc-André Aubertin, le contremaître du chantier.
«Comme j’ai déjà travaillé à la tour ouest, qu’on a complètement refaite ces dernières années, je commence à savoir ce que je fais.»
La tour ouest de la basilique a été en effet complètement restaurée... exactement comme le sera sa quasi-jumelle orientale.
«Nous sommes cinq pour la déconstruction, mais nous serons une douzaine pour la reconstruction», raconte M. Aubertin.
Une grue montée sur le clocher permet aux ouvriers de déplacer les pierres taillées de plus de 100 kg.
Quand on demande à M. Aubertin ce qu’il fait dans la vie, il peut répondre: «Je rebâtis la basilique Notre-Dame.»
Le produit de son labeur actuel durera deux siècles. Qui parmi nous peut en dire autant?