Les menaces d’annexion du Canada, du Groenland et de Panama lancées par le président élu sont irréalistes, mais on aurait tort de ne pas les prendre au sérieux.
Tous les jours ou presque, ces menaces d’annexions inondent les médias et les réseaux sociaux. C’est le genre de pavé que Donald Trump adore lancer dans la mare pour monopoliser l’attention et désarçonner ses opposants.
Trump a relancé ses menaces mardi en conférence de presse en y ajoutant quelques couches, y compris son intention de rebaptiser le golfe du Mexique «golfe de l’Amérique».
Rien de cela n’a de bonnes chances d’arriver, mais ces menaces signalent un virage fondamental dans la politique étrangère des États-Unis, et pas pour le mieux.
Intimidation et humiliation
À ses voisins immédiats, Trump signale qu’il utilisera tous les moyens à sa disposition pour les soumettre à sa volonté, en commençant par l’arme préférée des intimidateurs: l’humiliation.
Quand il a commencé à se moquer de Justin Trudeau, Donald Trump savait bien que ses jours à la tête du Canada étaient comptés. Il sait aussi qu’humilier un politicien qui a longtemps eu la cote parmi les démocrates ne peut que plaire à ses partisans MAGA.
La même chose est vraie de la flèche qu’il a décochée vers le Mexique, qu’il attaque symboliquement en cherchant à réécrire la toponymie du continent.
Son but est de mettre fin à la relation d’interdépendance entre les partenaires nord-américains pour la transformer en la seule forme de relation politique qui semble avoir du sens à ses yeux, soit celle entre dominants et dominés.
En fait, sa vision de l’ordre international est une extension de sa vision de l’ordre interne, où il se voit déjà en leader suprême, aucunement encombré par la règle du droit.
Normaliser la loi du plus fort
Trump justifie ses visées d’expansion territoriale par l’impératif de la sécurité nationale. Le Canada et le Danemark sont pourtant des alliés solides des États-Unis et le traité du canal de Panama donne de bonnes garanties de sécurité aux États-Unis. Qu’à cela ne tienne, dans l’esprit de la «destinée manifeste» du contrôle de l’hémisphère américain, Trump voudrait ultimement s’approprier toutes les voies maritimes, au nord comme au sud.
La norme de l’égalité en droit des pays souverains n’est pas la seule que Trump veut mettre à mal. En disant qu’il considère comme légitime pour les États-Unis d’annexer par la force de nouveaux territoires, il évacue la norme de non-conquête territoriale qui prévaut depuis plusieurs décennies. Il ouvre ainsi la porte à l’acceptation explicite de l’expansionnisme russe en Ukraine (et au-delà), à l’effacement des territoires palestiniens par Israël et à l’annexion de facto de Taïwan par la République populaire de Chine, entre autres.
Pendant ce temps, les médias américains normalisent cette stratégie d’intimidation en félicitant Trump pour ses talents de négociateurs et de deal maker.
Petit à petit, on voit s’imbriquer les morceaux d’un État autoritaire où la loyauté envers un autocrate à l’abri de toute contrainte juridique s’imposera comme la règle suprême. La véritable ère de Trump s’en vient et, comme on dit à Paris, you ain’t seen nothing yet.