Y a-t-il des décideurs politiques de cœur dans la salle?

À travers le tourbillon de l’actualité, la vie, la vraie, nous échappe. Des moments fugaces nous y ramènent parfois brutalement. Je vous raconte. 

Par un beau matin ensoleillé de septembre, je sors d’un rendez-vous à Westmount. Il fait trop beau. Même si c’est loin, je décide de rentrer à pied.

Sur la très chic avenue Greene, je vois un homme pas comme les autres. Dans ce quartier fortuné, il détonne. De toute évidence, il est sans domicile.

À travers son épaisse chevelure défaite, son visage est jeune et beau. Il est aussi fortement intoxiqué. Il délire. Son pantalon souillé lui glisse sur le corps.

Comment les blâmer?

Des agents de sécurité sont en train de le sortir d’un édifice. Ils sont en colère. Un deux s’est fait cracher au visage par celui qu’on appellera l’«itinérant», comme s’il n’avait même plus de nom.

Une chose sautait pourtant aux yeux. L’homme avait besoin d'une ambulance. Il avait besoin de soins. Je demande aux agents s’ils ont fait le 911. On me répond: «Pourquoi faire? C’est un fou!».

Mais comment les blâmer? Ces agents, là comme ailleurs, font un travail qui, avec la montée effarante de l’itinérance, est de plus en plus difficile et risqué.

Peut-être sont-ils aussi, comme nous tous, en train de s’«habituer» à voir un peu partout des hommes et des femmes détruits, sans toit ni loi?

Des sociétés malades de misère humaine

Je me suis quand même demandé s’ils reçoivent la formation appropriée pour tenter tout au moins de désamorcer des situations comme celles-là.

Sont-ils aussi formés à ne pas déshumaniser, même inconsciemment, ces milliers de femmes et d’hommes qui, comme des fantômes décharnés et dégarnis de tout, errent de plus en plus nombreux dans nos rues?

Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que nos sociétés riches sont malades d’une misère humaine de plus en plus banalisée. L’«inacceptable», pour reprendre le mot préféré de nos ministres, se normalise.

La déshumanisation insidieuse de l'autre, c'est ça. La dignité fout le camp. Y a-t-il des décideurs politiques de cœur dans la salle?