Des centaines de Québécoises, dont des mineures, ont vu leurs photos intimes être propagées sans consentement sur l’application Telegram, où des milliers d’hommes se rassemblent dans des groupes secrets à la recherche de contenu amateur et illégal.
Au cours des derniers mois, notre Bureau d’enquête a repéré une dizaine de ces groupes créés au Québec sur ce service de messagerie cryptée qui revendique plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde.
Dans ces espaces privés, des milliers de photos et de vidéos à caractère sexuel s’échangent clandestinement à la chaîne, comme vous le découvriez ce soir à l’émission J.E.
En avril 2025, le groupe Telegram Qc LEAK – VIP rassemblait 220 hommes, tous cachés derrière des pseudonymes.
Pendant deux ans, ils y ont diffusé plus de 20 000 photos et 4400 vidéos de Québécoises classées dans des dossiers au nom de chacune des femmes ciblées.
Ce groupe fonctionnait un peu comme un moteur de recherche: tapez le nom d’une femme et vous saurez si ses photos privées y circulent.
Au total, l’identité d’au moins 1500 Québécoises y figurait, dont celle d’une jeune femme qui avait 15 ans sur les photos publiées à son insu. Des membres anonymes y ont partagé des photos de leur conjointe, de leurs amies ou de leurs ex-partenaires, souvent accompagnées de commentaires dénigrants ou obscènes.
Pour s’assurer que tout le contenu était entièrement québécois, l’administrateur incitait aussi les membres à publier des informations personnelles sur les victimes, comme leur ville de résidence.
«Une capture d’écran du profil Facebook ou Instagram est aussi de mise», précisait la section «règlements» du groupe.
Dans un autre groupe baptisé «Qc LEAK 2.0 – VIP SELECT», un utilisateur a partagé des conseils pour créer un système d’hameçonnage visant à pirater des comptes Snapchat et à voler les photos des victimes. Près de 100 membres y ont partagé 6200 fichiers en quelques mois.
• À lire aussi: Victimes de trafic d’images intimes: deux plaintes, deux traitements opposés
Les policiers informés en mars
Un sonneur d’alerte, choqué par l’ampleur du phénomène, a infiltré ces groupes pour exposer leurs dérives. Nous avons accepté de protéger son identité pour des raisons de sécurité.
«Ce qui m’a le plus frappé, c’est le côté organisé. Si tu ne partages pas, tu es vite exclu, ce qui pousse les gens à alimenter le réseau», explique-t-il.
En mars 2025, ce passionné d’informatique a transmis toutes ces informations, incluant les identifiants des membres ainsi qu’une liste de noms de victimes potentielles, à la Sûreté du Québec.
Pour seule réponse, un porte-parole de la SQ lui a répondu ceci: «Les victimes d’échanges d’images non consentantes doivent porter plainte à leur service de police.»
«Comment les victimes peuvent-elles porter plainte quand elles ne sont pas au courant qu’elles sont victimes du crime? Je me serais attendu à mieux», se désole notre informateur.
La Sûreté du Québec reconnaît qu’il lui revient d’enquêter et d’informer les victimes dans ce dossier. Cette information aurait dû être transmise à notre informateur.
«S’il y a quelque chose à corriger, on va le corriger, indique son porte-parole Grégory Gómez del Prado. C’est bien évident qu’on ne s’attend pas à ce que des victimes, ne sachant même pas qu’elles ont été victimes, puissent porter plainte.»
La SQ confirme par ailleurs qu’une enquête « complexe » est en cours et qu’elle s'intéresse à l’ensemble des activités du groupe Qc Leak – VIP.
Signalements en forte hausse
Le partage non consensuel d’images intimes a été inscrit au Code criminel canadien il y a dix ans.
«C’est une violence systémique très préoccupante», martèle Marie-Pier Tessier-Juneau, agente de liaison au Centre d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) de la Mauricie.
«Peut-être que tu as envoyé la photo à une personne de manière consensuelle, mais après ça, la distribution, quand elle se fait des centaines et des centaines de fois, tu n’as pas consenti à ça», insiste-t-elle.
D’après Statistique Canada, le nombre de signalements liés à ce crime a doublé en six ans, passant de 1483 à 3111 signalements entre 2018 et 2024.
«Ces chiffres, c’est probablement une infime partie des gens qui sont victimes dans la société», croit toutefois Mme Tessier-Juneau.
De nombreuses victimes sollicitent l’aide du CAVAC, mais plusieurs hésitent à porter plainte par crainte d’être jugées par leur entourage.
Une plateforme controversée
Telegram est régulièrement critiquée pour son laxisme dans sa lutte aux activités illégales qui ont lieu sur sa plateforme. Son manque de collaboration avec les autorités a aussi souvent été dénoncé.
Le professeur en droit du cyberespace Pierre Trudel insiste: il ne faut pas que la justice et les policiers baissent les bras pour autant.
«Il est évident que l’application des lois face à ces entreprises est complexe, mais il faut s’acharner à le faire», martèle-t-il.
Dans un message transmis à J.E, Telegram rappelle que la « pornographie non consensuelle» est strictement interdite sur sa plateforme.
Son porte-parole, Remi Vaughn, précise que des modérateurs - appuyés par l'intelligence artificielle - surveillent les « parties publiques» de l'application afin de retirer le contenu nuisible.
Telegram: «le miroir de notre société»
Au-delà du combat légal, la multiplication de ces groupes démontre aussi la nécessité de renforcer l’éducation numérique, surtout à l’école, où la sensibilisation reste insuffisante, selon la spécialiste en communication numérique Nellie Brière.
«On a besoin de campagnes qui ne feront pas culpabiliser les jeunes [qui envoient] des photos, mais [qui miseront] sur les répercussions de rediffuser ces photos-là pour les victimes», propose Mme Brière.
À ceux qui plaident qu’il faudrait bannir Telegram du Canada, la spécialiste émet de sérieux doutes sur l’efficacité d’une telle mesure.
«Ça ne ferait que déplacer le problème ailleurs, croit-elle. Le vrai problème, c’est de comprendre pourquoi autant d’hommes font ça. Le numérique, c’est un miroir de nos comportements sociaux.»
Exemples de messages du groupe Qc LEAK – VIP
- «Ne pas oublier que ce groupe est contributif. Chaque membre publie et attribue une icône au sujet ajouté. Ça permet le contrôle de qui contribue.»
- «On est un beau groupe, il faut que ça demeure ainsi. Contribuez et publiez vos leaks. Plus on est à publier, plus les gens vont être incités à publier.»
- «J’ai des photos de ma blonde sauf que je ne donne pas de nom et pas de face.»
- «Je peux publier ce que j’ai, mais ce sont des photos rares donc je veux du stock aussi de la région de Drummond.»
- «Faudrait travailler sur [nom de la victime] les boys. Ça serait fou que quelqu’un ait ça en stock.»
- «Ça, c’est une fille de gangbang. Elle a l’air assez facile d’approche aussi.»
Vous avez des informations à nous communiquer à propos de cette histoire?
Écrivez-nous à l'adresse ou appelez-nous directement au 1 800-63SCOOP.
.png)
2 days ago
16

















Bengali (BD) ·
English (US) ·