Dans le tourbillon fou d’un monde qui l’est lui-même de plus en plus, lire pour mieux comprendre et réfléchir serait-il un refuge devenu trop souvent négligé? Je pense que oui. À l’aube de cette année flambant neuve, voici quelques-unes de mes bouées de sauvetage.
Discours de Suède. Prix Nobel 1957 (Folio)
En 66 pages bien tassées, ce discours historique du grand Albert Camus foisonne de lumière.
«Chaque génération, sans doute», écrit-il, «se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.»
Empêcher que le monde se défasse. Camus nous parle plus que jamais.
Une histoire de l’Histoire de Sainte-Justine. Avec les enfants depuis 1907 (Éd. CHU Sainte-Justine). Le Dr Jean-François Chicoine, pédiatre au même hôpital et dont le père, le Dr Luc Chicoine, fut aussi un des piliers, y raconte les coulisses de cette institution majeure du Québec.
On y découvre ses artisans passionnés: des hommes et des femmes de cœur et de science. Tous au service des enfants.
Rempli de photos et d’archives précieuses, ce livre nous fait prendre la pleine mesure du rôle essentiel de Sainte-Justine dans la société québécoise et, plus largement encore, en médecine pédiatrique. Le tout, sur fond de récit social et politique d’un Québec en constant changement sur plus d’un siècle.
Rue Duplessis: Ma petite noirceur (Lux)
Un succès fracassant, cet essai du sociologue Jean-Philippe Pleau sur les «transfuges de classe» est d’un humanisme profond.
Dans cette société où le clergé et la grande noirceur duplessiste reléguaient la majeure partie des «Canadiens français» à la pauvreté et à l’ignorance, l’auteur raconte son long parcours pour s’en extirper.
Ce parcours est aussi celui des enfants de la Révolution tranquille, dont je suis. On les voit avoir enfin accès à l’éducation et à la mobilité sociale qui s’en suit. Le prix à payer étant toutefois l’inévitable «déchirure sociale» éloignant souvent les transfuges de classe de leur famille et milieu d’origine.
Le sexe du pouvoir. Politique au féminin: élues et ex-élues brisent le silence (Éditions La Presse). Grâce aux témoignages courageux et lucides d’élues et d’ex-élues, la journaliste Jocelyne Richer expose les obstacles, encore bien réels, à l’exercice du pouvoir par les femmes, dans cet univers d’hommes qu’est la politique partisane.
Jocelyne Richer y libère brillamment la parole de nombreuses femmes qui, dans les couloirs des parlements, tiennent tête malgré tous les pièges qu’on leur tend.
Défendre le logement. Nos foyers, leurs profits (Écosociété)
Traduction en français du livre coup-de-poing (In Defense of Housing: The Politics of Crisis) des professeurs David Madden de la London School of Economics et de feu Peter Marcuse de l’Université Columbia,
À lire pour comprendre les ravages de la marchandisation croissante du logement pendant que les gouvernements, dont le nôtre, refusent de reconnaître l’habitation comme un droit fondamental.
Résultat: les écarts de richesse, de qualité de vie et de santé se creusent dans nos villes. L’itinérance monte également en flèche. À lire aussi pour les pistes audacieuses de solution présentées par les auteurs.
Les têtes réduites: essai sur la distinction sociale dans un demi-pays (Lux)
Le journaliste et historien Jean-François Nadeau braque ses projecteurs sur l’ultime tabou au Québec. Celui d’une nation plus divisée, socialement, culturellement et économiquement, qu’on aime se le faire croire.
On y voit un Québec marqué depuis longtemps par le pouvoir de ses notables du jour. Lesquels jurent même pouvoir parler au nom du «monde ordinaire», qu’ils ne connaissent pas, pendant qu’ils imposent leur propre vision parcellaire d’une «nation» pourtant bien plus complexe.
Bonne lecture et bon refuge...